Que signifie réelement « Principe de précaution  » ?

Usages et mésusages du principe de précaution

Alors que le rapport parlementaire d’évaluation du principe de précaution doit être remis mardi 18 mai, retour sur la façon dont ce principe est mis en oeuvre en France à travers des exemples récents de l’actualité

Principe de précaution par-ci, principe de précaution par-là. Le principe s’est popularisé dans les discours. En son nom, il faut agir ou interdire. Il est invoqué tel le remède suprême ou décrié comme le pire des travers des sociétés contemporaines. Le principe de précaution est atteint du « syndrome OGM ». Les positions se crispent, les débats s’enflamment.

Les députés qui ont, depuis la révision constitutionnelle de 2008, mission d’évaluer les politiques publiques, se sont saisis de ce sujet sensible. Le rapport d’évaluation du principe de précaution doit être remis mardi 18 mai par les deux rapporteurs, Alain Gest (UMP) et Philippe Tourtelier (PS), au comité de contrôle et d’évaluation de l’Assemblée nationale, avant d’être rendu public et de faire l’objet d’un débat parlementaire le 1er juin prochain. Petit tour d’horizon des questions pour éclairer le débat.

Précaution et prévention : y a-t-il une différence ?

« La première des confusions entre précaution et prévention vient du fait que le terme « précaution » est devenu à la mode. On l’utilise dans le langage courant pour signifier que l’on est prudent et agit précautionneusement. Ce qui n’est pas la même chose que le sens juridique donné au principe de précaution », estime Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement et maître de conférence à Sciences-Po.

Deuxième source de confusion : « Il n’y a pas de frontière nette mais un continuum entre la précaution et la prévention, c’est l’incertitude sur le risque qui fait qu’un problème relève de la précaution. Dès lors que le risque est avéré, il entre dans le registre de la prévention. », explique Jean Salençon, président de l’Académie des sciences.

La précaution a été inventée pour gérer le risque en amont, dès lors qu’un faisceau d’indices fait émerger un risque plausible (et non pas une peur) aux conséquences potentiellement graves, sans encore disposer des preuves scientifiques formelles.

Parfait exemple de ce continuum précaution-prévention, le cas de l’amiante. « On aurait pu agir au nom du principe de précaution dès 1910 au moment où commencent à être évoqués les risques liés à son usage. À partir des années 1960, le lien de cause à effet étant établi entre l’exposition aux fibres et la survenue de cancers et pathologies respiratoires, on en sait assez sur le risque pour prendre des mesures de prévention », explique Denis Bard, épidémiologiste à l’école des hautes études en santé publique et vice-président du Comité de la prévention et de la précaution (CPP), instance de conseil du ministère de l’écologie.

Selon cette grille de lecture, les trois derniers événements débattus, virus H1N1, tempête Xynthia ou cendres du volcan Eyjafjöll, ne relèvent pas du principe de précaution mais de la prévention. Le risque d’inondation en zone inondable et ses conséquences sont connus, tout comme le fait que les cendres volcaniques soient à même d’endommager des réacteurs d’avion.

Quant au virus H1N1, Alain Grimfeld, médecin, président du comité d’éthique et du CPP, expliquait devant les parlementaires le 1er octobre dernier, lors d’une audition sur le principe de précaution : « La cause est connue, elle est virale ; la prévention est vaccinale. Le risque concernant la prévention va dépendre du pouvoir pandémique du virus (…), on entend beaucoup parler du principe de précaution dans l’application du vaccin, ce qui est un non-sens. »

Rien à voir avec la gestion dite de la crise de la vache folle. « Le prion était un véritable ovni scientifique , rappelle Olivier Godard. Qu’une protéine puisse être un agent infectieux dépassait l’entendement. Cette énigme scientifique fut à l’origine d’un immense champ de recherche. »

Le principe de précaution, principe d’action ou d’inaction ?

Dans les textes, le principe de précaution est clairement un principe dynamique qui impose de faire progresser la connaissance, comme ce fut le cas sur le prion, et de prendre des mesures provisoires, révisables. « Les juges ont défini ses contours, par petites touches, en quinze ans de jurisprudence, émanant notamment de la Cour de justice des communautés européennes. Il se dessine ainsi un vade-mecum, un guide à l’usage des administrations », explique Christine Noiville, juriste et directrice du Centre de recherche en droit des sciences et des technologies (CNRS-université Paris 1).

« Les juges ont bien confirmé qu’il n’était pas un principe anti-science, qu’il réclamait au contraire d’adopter une démarche scientifique, de développer la recherche et l’expertise pour évaluer le risque et accompagner toute décision ; le principe ne conduit pas à vouloir s’affranchir du moindre risque et à rechercher le « risque zéro » », poursuit la juriste.

Est-il pour autant utilisé à bon escient ? « Les pouvoirs publics s’affolent en matière de gestion du risque. Le traumatisme de l’affaire du sang contaminé est tel qu’il conditionne les comportements. La question est de savoir si les politiques ne sont pas trop prudents », estime Arnaud Gossement. La peur de la condamnation est pourtant mauvaise conseillère.

« La condamnation pour mise en danger d’autrui suppose que le danger soit avéré et immédiat, c’est l’inverse même du principe de précaution », justifie Olivier Godard. « Pour l’amiante ou le sang contaminé, la responsabilité de l’État est retenue uniquement à partir du moment où les risques sont parfaitement connus, il n’y a pas de condamnation pour les périodes plus anciennes », confirme Christine Noiville.

« Le principe est brandi comme un parapluie, ou comme un joker, sur le thème « en matière de sécurité on n’en fait jamais trop » », regrette Olivier Godard. Pour ajouter à la confusion, une mouvance maximaliste cherche à inverser la charge de la preuve, le principe viserait ainsi à apporter la preuve de l’innocuité et de l’absence de risque avant d’agir.

Le principe de précaution est-il dévoyé ?

Pensé pour l’environnement, le principe s’est étendu aux enjeux de sécurité sanitaire, à tel point que ces derniers sont devenus prépondérants. « Pourquoi personne n’a fait valoir le principe de précaution pour la taxe carbone ?, interroge Olivier Godard. Les incertitudes sur l’impact des changements climatiques, potentiellement graves et irréversibles, devraient inciter à agir par l’adoption de mesures proportionnées : la taxe en était une », justifie-t-il.

Mais dans la liste des ratés du principe, les derniers jugements imposant le démontage d’antennes-relais de téléphonie mobile font la quasi-unanimité : la mesure paraît disproportionnée. Ainsi la cour d’appel de Versailles a, dans son arrêt du 4 février 2009, justifié sa décision en évoquant le « trouble anormal de voisinage » et la « crainte légitime » liée à l’impossibilité de « garantir une absence de risque sanitaire ».

« Le raisonnement selon lequel l’incertitude génère le risque qui crée le danger est en totale contradiction avec quinze ans de jurisprudence. Cela sème le trouble dans les esprits, ravive les vieilles querelles sur un principe prétendument anti-science et ramène le principe de précaution à l’âge de pierre alors que l’on croyait être parvenu à maturité », s’attriste Christine Noiville. La décision de la Cour de cassation est attendue avec impatience.

Qu’est-ce qu’une mesure proportionnée ?

« Le principe de précaution ne supprime pas la logique de bon sens et impose de remettre le risque dans son contexte », précise Christine Noiville. Pour étayer son propos, elle rappelle une décision de la Cour de justice européenne de 2003 qui a imposé de proportionner les décisions. Il s’agissait en l’occurrence de prendre en compte le calcul bénéfices-risques dans l’appréciation d’un médicament anorexigène contre l’obésité. La découverte d’un risque cardiaque associé ne suffisait pas à justifier le retrait du marché du médicament. Ainsi la proportionnalité d’une mesure peut être de décider de recherches pour mieux évaluer le risque, de retirer provisoirement un produit, ou de l’interdire.

Ce fut le cas pour les farines animales qui ont été proscrites de l’alimentation des ruminants pour éviter toute contamination par l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). C’est aussi le cas du vote des députés de l’interdiction des biberons au bisphénol A dans la loi Grenelle 2. « On a de plus en plus de signaux sur les risques associés au bisphénol A ; l’interdiction est une mesure proportionnée puisqu’il existe une alternative, d’autres biberons sans bisphénol A ou en verre, à un coût raisonnable », précise Denis Bard.

En revanche, des mesures plus « douces » ont été proposées « dans le domaine de la téléphonie mobile, en vertu du principe de précaution, des recherches sont menées sur les risques associés aux ondes lorsque l’on téléphone, et il est recommandé d’éviter l’usage précoce chez les enfants du téléphone portable et d’utiliser une oreillette pour téléphoner », poursuit le spécialiste.

Bizarrement, à ses yeux, le principe de précaution qui s’applique aux OGM et a débouché sur la création saluée du Haut Conseil aux biotechnologies, a laissé de côté l’usage des gènes de résistance aux antibiotiques (utilisés comme marqueurs de la transgénèse dans les plantes OGM). Ces gènes de résistance avaient pourtant défrayé la chronique dans les années 1990 en raison du risque qu’ils faisaient courir, en cas de dissémination, de multiplication de germes multirésistants aux antibiotiques.

Marie VERDIER

Commentaire

commentaire

Powered by Facebook Comments

Ce contenu a été publié dans législation ondes et antennes relais, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.